« Nous faisons tous des choix, mais à la fin, nos choix nous font. »
Andrew Ryan, fondateur de Rapture (Bioshock Infinite DLC Tombeau sous-marin)
(Suite de la première partie)
Quelle est la portée intellectuelle des utopies et des dystopies ? Pourquoi Rousseau pense-t-il un état de nature qu’il savait entièrement théorique si ce n’est pour réfuter Hobbes et défendre le droit à conserver la liberté individuelle ? Pourquoi Ovide présente-t-il l’âge d’or des hommes en opposition à l’âge de fer si ce n’est pour critiquer le passage de la République à l’Empire pendant l’exil auquel Auguste l’a forcé ? La portée de ces exercices est de parler du monde tel qu’il est, pas juste de mondes abstraits et imaginaires.
Bioshock ne fait pas exception. Rapture et Columbia sont deux versions de ce que l’Amérique aurait pu être ou de ce qu’elle peut devenir, mais en regardant ce qu’elle est. Deux versions opposées de deux tentations américaines : la société comme marché et la religion comme ordre politique. Mais au-delà de ce premier niveau de lecture existe un second niveau : la question de l’homme, de la contrainte social et de sa liberté d’agir.

Rapture et Columbia : caricatures de l’Amérique
L’Adam : la folie et l’Adderall
Plusieurs éléments centraux de la série renvoient directement à des sujets sociaux actuels. La première parabole est liée à l’importance de l’Adam. Il s’agit d’une part d’une drogue qui accentue certains traits de la personnalité tout en rendant fou et, d’autre part, une drogue permettant de manipuler certains pouvoirs.

L’Adam permet de créer la dystopie et la caricature sociale en renforçant certains aspects de la personnalité de ceux qui en abusent. Cohen devient l’artiste fou de Rapture et va jusqu’à tuer en recherchant l’œuvre parfaite. Steinman, le chirurgien esthétique de Rapture, massacre le visage et le corps de ses clients en cherchant à les rendre parfaits. Les ennemis que l’on croise dans Rapture répètent souvent en boucle des phrases liées à leur vie passée, récitant leur discours commercial d’assureur par exemple. Ce procédé permet, par l’Adam, de pousser jusqu’à l’absurde les traits de la société contemporaine occidentale, en particulier l’Amérique. Par exemple, le PDG de l’entreprise Fontaine Futuristics, Reed Wahl, est devenu fou à cause de l’Adam, mais surtout extrêmement violent avec son personnel : le joueur croise des cadavres avec le sang desquels est écrit « fired » (« viré »). Le management de Reed passe désormais par l’extrême violence, mais il reste dans le cadre professionnel. Cela rappelle certains problèmes du management contemporain et vient nous choquer par sa violence tout en nous rappelant que d’autres types de violence peuvent se retrouvés à notre époque. Les suicides de France Télécom avaient été très médiatisés : en 2004, un nouveau plan de management dit « NExT » visait à dégrader l’atmosphère de travail pour pousser au départ volontaire des employés. En 2010, il y avait eu 58 suicides depuis le lancement du plan NExT. En 2011, Rémy Louvradoux, cadre de France Télécom, s’est suicidé en s’immolant par le feu.




L’Adam permet donc de justifier cette caricature dystopique et choquante, mais il permet aussi de caricaturer en lui-même le rapport aux drogues dans nos sociétés. La drogue est souvent associée à la toxicomanie et aux junkies, mais elle est bien plus couramment admise sous d’autres formes. Aux Etats-Unis, l’Adderall est couramment prescrit dès l’enfance pour lutter contre les troubles de l’attention puis est ensuite abusé par les étudiants pour améliorer leurs performances à court terme. L’Adderall est toutefois une combinaison d’amphétamine qui peut provoquer perte d’appétit, insomnie, psychose ou tachycardie. La pression du lobbying pharmaceutique américain rappelle aussi le développement de l’Adam sur le marché ultra-libéral de Rapture : près de 100 millions de dollars de dépense aux Etats-Unis et un lobby ultra influent sous le nom de PhRMA. Quelle différence fondamentale entre une drogue développée pour exploiter les pouvoirs liés aux plasmides quitte à risquer la folie et des amphétamines permettant d’améliorer sa mémorisation et ses performances académiques au prix de tous les effets secondaires d’une drogue dure ? On peut aussi penser à la constante hausse de la consommation d’antidépresseurs en Occident : en 2015, un Français sur sept a consommé des anxyolitiques.


Le contrôle des corps et la science
l’Adam est aussi utilisé pour améliorer l’utilité sociale et l’adaptation au travail des habitants de Rapture, ce que montre le binôme des petites sœurs et Big Daddy. Dr Souchong, le principal scientifique de Rapture, a travaillé sur le conditionnement psychologique par l’Adam. Ce même conditionnement qui justifie l’essentiel de l’intrigue et des actions de Jack durant le premier volet de Bioshock. Pour renforcer cet aspect, Jack finit par connaître la transformation d’un Big Daddy : modification de la voix, greffe du scaphandre, jusqu’à être totalement anonyme. Bioshock aborde donc aussi la question de la manipulation des corps et le contrôle social sur les corps. On manipule les habitants de Rapture pour optimiser leur fonctionnement social, en sacrifiant la liberté au nom de la productivité.

Cette notion se retrouve dans le bipouvoir de Foucault : on exploite la connaissance scientifique pour une tendance de plus en plus importante au contrôle des populations et des corps. En utilisant la norme statistique, c’est-à-dire une connaissance des causes et conséquences de comportement de populations entières, on justifie des normes qui s’appliquent aux individus et à leur comportement. On a développé la Sécurité sociale et la connaissance des causes du tabagisme, justifiant le contrôle des comportements des fumeurs. Ce biopouvoir n’est donc pas intrinsèquement négatif, il peut être justifié. Mais il peut aussi être une tendance plus problématique. La crise sanitaire Covid-19 et la tendance à la réduction de certaines libertés individuelles essentielles peut se justifier par l’intérêt commun, mais reste un phénomène majeur. La question de la science, du contrôle social est donc posée par Bioshock comme par nos sociétés. Bioshock va jusqu’à supposer que la liberté est attachée au capitalisme pas en tant que valeur, mais en tant que moyen d’efficacité économique. Si une société estime avoir un meilleur moyen d’assurer l’efficacité économique des individus que la liberté, celle-ci n’est plus garantie. C’est généralement la confusion entre libéralisme et capitalisme. Le libéralisme érige la liberté individuelle comme objectif et valeur, ce qui implique la liberté économique. Le capitalisme est alors une conséquence de la liberté individuelle. Le capitalisme s’associe à la liberté individuelle pour l’efficacité économique qui en ressort, la liberté est alors qu’une conséquence du capitalisme.

Si on peut justifier le biopouvoir pour prévenir une pandémie mondiale, il reste toutefois beaucoup moins justifié dans d’autres domaines. Par exemple, le célèbre projet MK-Ultra était un programme de manipulation mentale mis en place par la CIA des années 50 aux années 70, notamment grâce au LSD. La drogue fut entre autres utilisée sur des cobayes non-volontaires, dont des Américains.
Durant la guerre du Vietnam dans les rangs des GI’s, l’héroïne se répandit sans contrôle de la part de l’armée qui y voyait un moyen de faire supporter les conditions du conflit aux soldats. Entre 10 et 15% des soldats y étaient alors accros. L’Echelle de Jacob d’Adrian Lyne, considéré aujourd’hui comme un classique du cinéma de genre et qui a fortement inspiré Silent Hill pour ses monstres et son alternance d’univers, évoque le sujet. La « ladder » est une drogue développée par l’armée américaine pour augmenter l’agression des soldats américains au Vietnam dans le film. Si le film est une fiction, de telles réflexions ont été menées par l’armée américaine et la CIA. On peut aussi penser à l’utilisation de la méthamphétamine par l’armée allemande : lors de la Bataille de France, près de 35 millions de comprimés ont été distribués aux soldats pour augmenter leurs performances et leur résistance à la douleur. Si laisser l’héroïne aux soldats américains avait permis de gagner la guerre, aurait-elle était justifiée au nom du but à atteindre ? Le biopouvoir aurait-il permis d’atteindre l’intérêt général ? Quelles sont les limites que la raison d’Etat ou l’intérêt supérieur d’une société peuvent fixer dans la manipulation des corps et des individus alors que l’on développe notre connaissance et notre capacité de contrôle de ces derniers ?


Columbia et la tentation religieuse de l’Amérique
C’est un lieu-commun de présenter les Etats-Unis comme un pays fondé sur deux tentations : l’une capitaliste, l’autre puritaine. Cette idée remonte aux premiers colons. La première colonie anglaise fondée sur le territoire américain était Jamestown en 1606. Il s’agissait d’un projet commercial de la London Company, une société par actions chargée de la colonisation au nom de la couronne d’Angleterre. Il s’agit du mythe capitaliste. Le Mayflower, plus connu, était un navire transportant des puritains protestants fuyant les persécutions liées à leur refus de soutenir l’Eglise anglicane. Ils fondèrent Plymouth et le mythe fondateur puritain. Il s’agit évidemment du trait d’union entre Columbia et Rapture. Booker lui-même est un symbole de la tension entre le Booker capitaliste, prêt à enlever une fille pour rembourser ses dettes, et le Comstock théocrate qu’il devient si il accepte le baptême.


Columbia est fondée sur ce mythe puritain et ce puritanisme revient régulièrement dans la vie publique et la société américaine, comme un retour aux sources. La période de la prohibition était un symptôme de cette tentation puritaine. Aujourd’hui, le poids des évangélistes dans le débat américain et le combat acharné mené par une partie des républicains contre le droit à l’avortement symbolisent le retour à cette tentation alors que l’Amérique doute de sa vocation. Encore aujourd’hui, les Etats-Unis restent un pays plus largement et profondément religieux que la grande majorité des pays occidentaux : en 2009, un sondage de Gallup Poll constatait que 69% des Américains jugeaient la religion importante dans leur vie contre 30% des Français ou 40% des Allemands.

Columbia est un retour à cette tradition puritaine face à la « Sodome inférieure » comme Comstock l’appelle. Le nom Comstock vient d’ailleurs d’Anthony Comstock, un célèbre homme politique puritain du 19ème. Columbia pousse le poids politique de la religion aux Etats-Unis en en faisant une théocratie. Comme souvent, la tentation de la religion en politique est une tentation hégémonique : la religion se percevant souvent comme une vérité universelle, elle s’accommode mal de la liberté individuelle quand cette liberté semble remettre en question les standards moraux de la société dans son ensemble et, tout aussi souvent, les problèmes sociaux incombent alors à ceux qui ne respectent pas ces standards. Par exemple, durant la très grave crise du 3ème siècle que traversa l’Empire Romain et au cours de laquelle s’accumulèrent instabilité politique, guerres aux frontières, crise économique et peste de Cyprien, la persécution contre les chrétiens s’intensifia. La persécution de Dèce prend racine dans le constat de l’empereur que la crise de l’Empire était due au manque de vertu des Romains et au manque de piété pour les dieux traditionnels face au développement de nouvelles religions venues de l’est, dont le christianisme. Le pape Fabien est tué au cours de cette crise et celle-ci posera la question fondamentale des « lapsi » pour l’Église. C’est une tentation similaire qu’on peut distinguer pour une partie de la population américaine aujourd’hui : les musulmans, qui représentent environ 1% de la population, cristallisent les craintes. Le vice-président Mike Pence considère que les homosexuels ne devraient pas être admis au service dans l’armée américaine car leur présence « affaiblit la cohésion des troupes » et soutient les thérapies de conversion. Le déroulement logique ad absurdum de cette idée est donc Columbia où le bouddhisme pratiqué par les migrants chinois l’est en secret.

Mais Bioshock va plus loin dans la critique du modèle théocratique de Columbia en affirmant que la religion est un moyen de contrôle de Comstock sur les masses. On apprend au cours du jeu, en se rendant à la banque centrale de Columbia, que Comtosck se réserve 50% des revenus versés à la banque centrale. On peut y voir une référence à l’ancien commerce des indulgences de l’Eglise catholique, mais surtout au débat actuel sur l’exemption fiscale des églises aux Etats-Unis et ce alors que certains télé-évangélistes ont accumulé des fortunes. Kenneth Copeland par exemple possède une fortune estimée à plus de 300 millions de dollars. La polémique concernant son jet privé en 2015, acheté avec les donations faites auprès de son église, l’a amené à préciser qu’il devait utiliser un jet pour éviter les vols commerciaux « longs tubes avec une bande de démons ». Ce dernier a aussi insisté pour que ses donateurs ayant perdu leur emploi durant la crise sanitaire de 2020 continuent leurs dons à son église.


La place de l’homme dans Bioshock
La saga Bioshock ne s’arrête pas à présenter des dystopies, elle les renverse. Chacune des deux villes sombre et disparaît au final. On ne peut donc pas se limiter à une lecture statique de Rapture et Columbia. Bioshock ne parle pas seulement de nos sociétés à travers ces deux villes, mais aussi des hommes et de leur place dans ces utopies. Elle parle de leur liberté et du poids de la société sur eux.
Victor Hugo, dans la préface des Travailleurs de la mer, informe le lecteur que trois de ses principaux livres sont unis par le thème des « Anankè » : Notre-Dame de Paris, Les Misérables et Les Travailleurs de la mer. Anankè est la déesse grecque de ce qui est inévitable, nécessaire ou obligatoire, bref de la contrainte. D’ailleurs son équivalent romain est Necessitas. Hugo relie donc ses trois livres en rattachant chacun d’entre eux à une contrainte humaine : Notre-Dame de Paris parle de l’Anankè des dogmes religieux, Les Misérables de l’Anankè des lois humaines et Les Travailleurs de la mer de l’Anankè des choses. Les mêmes contraintes qui pèsent sur Quasimodo ou Jean Valjean pèsent sur Jack ou Booker et tous tentent d’en échapper.

Les idéologies totales présupposent une unité sociale, une unité des envies et des besoins et aucune évolution de celles-ci dans le temps : la société peut avancer vers un but, mais ce but est immuable. Dans ce cadre, la démocratie est inutile, même contre-productive. Face à ce constat, la liberté humaine n’est pas qu’un effet d’une société juste et stable, elle en est la condition même. Aucune société ne prospère contre le bonheur de ses membres. Rapture s’effondre de ne pas avoir pu proposer autre chose que la guerre de tous contre tous alors que Columbia s’effondre sous l’oppression des classes laborieuses. Mais Bioshock ne s’arrête pas à une lecture manichéenne : si Atlas a renversé Ryan, ce n’est pas pour combattre les injustices de Rapture mais pour remplacer une oppression par la sienne. Si la Vox Populi se révolte, elle n’amène rien de plus à Columbia que les représailles et l’anarchie. Les sociétés échouent lorsque l’ordre établi refuse sa liberté à l’homme.

Bioshock nous parle donc du rapport entre la société et la liberté individuelle. Jack est soumis sans même le savoir au conditionnement que Rapture lui a fait subir, mais il finit par s’en échappé et contribue au renversement d’Atlas. Bioshock Infinite approfondit cette idée en créant un multiverse avec des « constantes et des variables » selon les mots d’Elisabeth : certaines choses sont immuables, mais d’autres dépendent des actions des hommes. En acceptant ou en refusant son baptême, Booker devient soit une version de lui-même qui fonde Columbia et se renomme Comstock, soit une version de lui-même qui renverse Columbia et tue Comstock. Les constantes peuvent être analysées comme les « Anankè » qui pèsent sur nous et nous conditionnent, nous limitent et nous contraignent alors que les variables sont les intervalles de libre arbitre et de choix que l’individu conserve. Mais comment les articuler ? Dans quelle mesure l’homme est-il libre ?

Bioshock n’adopte pas de position claire sur le sujet (est-ce que la question du libre arbitre n’est pas au fond stérile ?), mais insiste à plusieurs reprises sur ce qu’il est nécessaire de réaliser pour permettre le déroulement de l’histoire, comme si on se libérait d’une contrainte pour se retrouver confronté à une autre. La liberté serait alors de choisir la meilleure des contraintes qui s’impose à nous. Par exemple, dans le DLC Tombeau sous-marin, le sicentifique de Rapture Suchong demande à Elisabeth d’utiliser une faille pour retourner à Columbia récupérer un élément pour ses travaux. Elisabeth tombe alors sur une conversation entre Daisy, la révolutionnaire à la tête de la Vox Populi, et les Lutece qui lui expliquent qu’elle doit se faire tuer par Elisabeth pour permettre à celle-ci de passer de « fille à femme » et qu’elle puisse vaincre Comstock. La suite est dans Infinite lorsque Daisy provoque Elisabeth et qu’elle se fait tuer. Elisabeth réfléchit alors à sa condition et se demande si Daisy avait un choix et si elle-même avait vraiment un choix : « Je ne vais jamais y échapper. Exploitant, exploité ». On a donc un parallèle entre la contrainte de la condition sociale et la contrainte de l’histoire qui se déroule. Les évènements appellent d’autres évènements, on se libère de ses chaînes pour d’autres et on accepte certaines chaînes pour se libérer d’autres. Elizabeth pensait faire le choix de tuer Daisy, elle se libérait simplement de Columbia pour se soumettre à l’ordre des choses voulu par les Lutece.


Le libre arbitre devient pratiquement une question non pertinente. Nous sommes libres qu’aussi longtemps que nous n’avons pas conscience des contraintes qui nous poussent à faire un choix. Bioshock semble donc se diriger vers une réponse spinozienne : le libre arbitre n’existe pas, mais l’homme en a l’illusion car il n’a pas conscience de ce qui le pousse à agir. Toutefois, Spinoza considère aussi que la liberté existe de comprendre ce qui nous motive. Andrew Ryan nous rappelle que « nous faisons tous des choix, mais qu’au final, nos choix nous font ». Plusieurs scènes de la série nécessitent que le joueur réalise une action sans que celui-ci ait réellement le choix de la réaliser : tuer Ryan ou donner Elisabeth bébé par exemple. Quel est donc l’intérêt de tels scènes de jeu par rapport à une simple cinématique ? Nous rappeler notre contrainte.


Il s’agit de la dernière réflexion de la série sur la liberté humaine. Toutefois, si Bioshock pose donc que nous faisons des choix en conséquence des contraintes qui pèsent sur nous, cela ne veut pas dire que l’homme reste soumis en permanence à ces contraintes. La société dans laquelle nous vivons nous définit et nous pousse à réaliser des actions, mais ça ne veut pas dire que ces actions équivalent à une soumission. Jack acquière ses différents pouvoirs et son expérience à cause de son conditionnement exploité par Atlas, mais prendre conscience de ce conditionnement le pousse à utiliser ces éléments pour battre Atlas. Nous sommes soumis à nos choix, pas à ce qui nous a poussés à les faire. La société nous contraint, mais ne nous soumet pas. La question du libre-arbitre est stérile pour Bioshock et la véritable question est celle de la soumission. Or, cette soumission n’est pas conditionnée par l’existence ou non d’un libre-arbitre théorique : les choses qui nous poussent à agir ne nous poussent pas nécessairement à agir pour elles. Rapture et Columbia, malgré tout le poids qu’elle fonds peser sur nos protagonistes, n’ont pas tenu face à cette vérité.
Conclusion
Bioshock dévoile toute sa richesse et l’interaction entre son histoire et le gameplay en faisant réfléchir le joueur à sa condition de joueur. Tout au long du premier Bioshock, le joueur suit, comme Jack, les ordres d’Atlas sans s’interroger. Une fois qu’il est révélé qu’Atlas manipulait Jack qui n’avait pas d’autre choix que de lui obéir, le joueur aussi réalise qu’en tant que joueur il était dans la même situation. Nous avons tendance à accepter des règles et des objectifs présentés sur un écran sans nous interroger sur leur sens car nous oublions qu’ils s’imposent à nous et nous nous satisfaisons de la liberté d’action réduite que permet le gameplay. En quoi la même illusion de liberté qui découle de l’ignorance/oubli de la contrainte ne s’applique-t-elle pas à toutes les autres sphères de la vie ?
C’est là que Bioshock justifie toute l’intelligence de son discours et s’adresse directement au joueur : un jeu a la capacité de nous faire oublier les contraintes sous lesquelles nous agissons parce que nous nous sommes habitués à agir sous ces contraintes. L’homme considère comme normal et acceptable pratiquement tout ce à quoi il s’est accoutumé et il n’a que peu de raisons de s’interroger sur ces choses. Alors comment distinguer ce qui, dans la société dans laquelle nous vivons, est, en réalité, normal et acceptable de ce qui ne l’est pas ? Nous qui ne voyons plus les contraintes qui s’imposent et nous nous contentons d’agir sous leur contrôle, comment pouvons-nous distinguer celles-ci ? Bioshock nous propose de visiter deux lieux caricaturant notre monde pour nous interroger sur ce qui ne nous questionne plus : Rapture et Columbia.