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La violence et le jeu vidéo

Depuis les années 1990, le jeu vidéo est régulièrement accusé de promouvoir la violence. Très présente dans l’univers vidéoludique, la violence sert d’abord de ressort pour créer une tension dramatique et des mécaniques de gameplay facilement identifiables pour les joueurs. Les études menées sur le lien entre violence dans le jeu et violence réelle ne sont pas concluantes du fait de plusieurs limites éthiques et méthodologiques. Il semble que la relation soit plus complexe : les gens violents sont attirés par la représentation de la violence qui ne tend pas à les rendre violents sans particularités propres à leur environnement. Toutefois, pour masquer les manquements d’écoles, parents ou hommes politiques, le jeu vidéo reste encore régulièrement utilisé comme bouc émissaire.

« Nous parlons de jeux vidéo qui glorifient la violence et apprennent aux enfants à prendre du plaisir à infliger les plus horribles formes de cruauté imaginables »

Sénateur Joe Lieberman (1993)

William Higinbotham, un physicien américain qui contribua au développement de la première bombe atomique en supervisant les composantes électroniques des expériences du projet Manhattan, devint par la suite un fervent pacifiste et opposant à la prolifération nucléaire. On lui attribue aussi la paternité du premier jeu vidéo de l’histoire : Tennis for two, un simulateur de tennis jouable sur oscilloscope dès 1958. 

Tennis for two sur un oscilloscope

Pourtant, en août 2019, le Président Trump a accusé la « glorification de la violence » accusant les jeux vidéo d’être responsables de plusieurs tueries intervenues quelques jours plus tôt[1]. Le jeu vidéo est souvent associé à la violence, dans son contenu et dans ses effets supposés sur les jeunes et la société : les auteurs de la tuerie de Columbine en 1999 jouaient régulièrement à Doom et Quake, ce qui suffît à certains groupes conservateurs pour accuser ces jeux d’être partiellement responsables de la tragédie. Ce rapprochement souvent remis sur le devant de la scène par des faits divers tragiques contraste avec les motivations du pacifiste et opposant au nucléaire William Higinbotham qui conçut le premier jeu vidéo sur des machines utilisées par les hommes pour simuler les trajectoires de missiles balistiques bien réels, eux. 

Au cœur de ce débat passionné et clivant, je distingue deux questions distinctes, mais liées. D’abord, la question de savoir pourquoi la violence est une composante essentielle de nombreux jeux vidéo ? Ensuite celle des conséquences sur les joueurs et la société dans son ensemble ? 

Cet article se concentre en particulier sur l’état du débat aux Etats-Unis pour plusieurs raisons parce que c’est dans ce pays que le débat est particulièrement virulent et ce alors qu’il est aussi le premier marché du jeu vidéo. Ensuite, c’est aussi aux Etats-Unis que la plupart des études citées ont été conduites. Les conclusions sont toutefois largement applicables au reste du monde.

Pourquoi la violence est-elle si présente dans les jeux vidéo ?

La violence fait partie intégrante de l’univers vidéoludique : 89% des jeux contiennent une forme de violence et environ la moitié des jeux contiennent de la violence commise par le joueur sur d’autres personnages dans leur gameplay[2]. Les explications sont de deux ordres à mes yeux : tout d’abord, et comme pour tous les arts, la représentation de celle-ci s’explique pour des raisons scénaristiques et dramatiques, et, d’autre part la violence permet au jeu vidéo des apports en termes de gameplay et expérience du joueur. 

La violence crée une motivation et une tension dramatique nécessaires à l’implication du joueur

La première explication logique à la violence dans le jeu vidéo vient tout d’abord de la société : la violence est un élément important et très présent dans toutes les sociétés humaines et donc on la retrouve dans les oeuvres qu’elles produisent. On peut expliquer de la même façon la surreprésentation de l’amour dans les oeuvres d’art. D’ailleurs, il est intéressant de voir une partie de la société américaine accuser certains jeux de promouvoir une violence qui vise justement à parodier et caricaturer la violence de la société américaine. La série des Grand Theft Auto, fruit d’un studio britannique, se déroule dans une Amérique caricaturée entre Liberty City, Vice City et San Andreas qui mettent en parallèle le rêve américain et la violence de l’Amérique où réussir implique d’écraser les autres. Plusieurs épisodes de la saga ont fait l’objet de controverses aux Etats-Unis depuis la sortie de GTA III en 2001. Gavin McKiernan, directeur du Parents Television council – un groupe d’intérêts militant contre les contenus divertissants qu’il juge néfaste pour les enfants – s’est exprimé publiquement en faveur d’une interdiction d’acheter GTA IV pour les mineurs sur le territoire américain[3]. Si la violence est bien présente dans la série GTA, celle-ci est d’abord une caricature ad nauseam de la violence de l’Amérique. 

Capture d’écran de GTA IV

Mais il s’agit que d’une partie de l’explication. L’intérêt de la violence réside aussi dans les mécanismes communs à tous les arts : la violence permet de créer une tension dramatique et de donner du sens à l’histoire qui se déroule et aux motivations des personnages. La violence crée généralement une opposition : il existe un objectif à atteindre pour le joueur et des difficultés pour l’atteindre sur son parcours et la violence est à la fois le moyen utilisé contre lui et l’outil du joueur pour contrer ces obstacles. Elle donne du sens, permet de créer une opposition entre tout perdre en cas de mort ou tout gagner en cas de victoire. C’est un mécanisme commun à tous les arts : dans Roméo et Juliette par exemple, la violence transforme une simple histoire d’amour adolescente en un récit dramatique où la haine entre Montaigu et Capulet est le principal obstacle à l’atteinte du bonheur pour les deux amants. 

La Réconciliation des Montaigu et des Capulet devant les corps de Roméo et Juliette par Frederic Leighton (milieu du 19ème siècle)

La violence au service du gameplay

Il existe des raisons propres aux développeurs de jeu pour utiliser la violence comme élément de gameplay. Le jeu vidéo repose depuis ses origines sur les feedbacks, c’est-à-dire le retour du jeu vers le joueur pour lui procurer une satisfaction d’avoir réalisé une action qui était attendue de sa part : la mort d’un ennemi tué par le joueur est plaisante non parce qu’une personne meurt, mais parce que le feedback est positif et associé à une action réussie du joueur. Pourquoi utiliser la mort par balle d’un ennemi comme feedback par exemple ? Parce qu’il s’agit de reprendre un élément connu de tous dans le monde physique et réel : tout le monde sait qu’un tir réussi sur un ennemi entraîne sa mise hors combat parce que nous avons tous des représentations de cette action à l’esprit. 

Exemple de feedback dans Call of duty : lorsqu’un joueur adverse est touché, le score apparaît, ainsi que le réticule et un son spécifique se déclenche pour confirmer l’impact

D’autres types de feedbacks moins violents existent, mais ils sont plus complexes à mettre en œuvre : dans Luigi’s Mansion par exemple, lorsque Luigi aspire un fantôme, ce dernier disparaît dans l’aspirateur. Lorsque Luigi a aspiré tous les fantômes dans une pièce, la lumière et une musique permettent de confirmer la réussite du joueur. Mais donner une arme à un joueur et lui montrer des ennemis armés lui tirant dessus fait appel à des mécaniques connues de tous, alors qu’armer un joueur d’un aspirateur et faire apparaître des fantômes est une association moins évidente a priori.

Tout cela renvoie à la théorie des usages et gratifications qui, au lieu de considérer le public comme passif face aux médias, le suppose actif : une personne choisit de passer du temps devant un média plutôt qu’un autre parce qu’elle en tire une gratification plus importante et que le média satisfait ses attentes. Les jeux vidéo violents ne sont pas juste un moyen de donner de la violence au joueur, parce que la violence n’est pas un besoin pour la majorité des joueurs. Mais les joueurs jouent aux jeu vidéo violents car ceux-ci leur apportent une gratification qui est à chercher ailleurs. Le jeu vidéo, comme le sport pratiqué par les amateurs, n’a que des motivations intrinsèques : le plaisir de réaliser un highscore n’a pas de portée extérieure au jeu. L’objectif des développeurs est alors de créer un environnement permettant au joueur de se motiver de façon à atteindre les objectifs. Comment le motiver pour qu’il continue à jouer ? En passant par le déroulement d’un scénario et la mise en œuvre de systèmes de gratifications qui passent tout deux par la violence mais dont celle-ci n’est pas la finalité.  

Pour soutenir cette idée, une étude a voulu vérifier si la violence d’un jeu était un critère de choix pour les joueurs. Par exemple, se concentrer sur la violence permise par GTA et associer son succès à sa violence revient à oublier la principale raison pour laquelle la franchise connaît un tel succès : elle offre une richesse de gameplay impressionnante au joueur.

Selon ces travaux[4], il n’y a pas de corrélation entre qualité de gameplay et niveau de violence, mais le sentiment d’immersion est lui corrélé au niveau de violence (ce qui renvoie à l’argument de la motivation et de l’implication du joueur) et ce qui peut pousser les développeurs à développer des jeux violents. Les auteurs concluent aussi qu’à caractéristiques similaires en termes de gameplay et donc plaisir de jeu, les joueurs préféreront un jeu non violent. La seule exception à cette conclusion est pour les joueurs présentant un caractère plus agressif qui eux préfèrent les jeux plus violents toutes choses égales par ailleurs. La violence ne créerait pas de satisfaction par elle-même pour les joueurs. Mais pour autant, celle-ci peut-elle avoir un impact sur le joueur ?

Quel lien entre la violence des jeux vidéo et les comportements violents ?

Naissance et montée en puissance des controverses

C’est en 1993 que sont les nées les premières controverses autour du jeu vidéo et de la violence. La sortie de Mortal Kombat et Wolfenstein 3D provoqua une réaction de la part du sénateur américain Joe Liebermann qui organisa conférences de presse et auditions parlementaires sur la violence des jeux[5]. L’indsutrie vidéoludique, soucieuse de ne pas subir la censure, s’empressa de mettre en place l’Entertainment Software Rating Board (ESRB) chargé d’évaluer les jeux sur la base d’un système de notation similaire à celui de l’industrie cinématographique. Ce n’était pas la première initiative politique qui s’inquiétait de l’effet d’un média sur la jeunesse : en 1954, le psychiatre Frederic Wertham publiait le très controversé Seduction of the innocent, un livre qui dénonçait l’effet des comic books sur la jeunesse, poussant les éditeurs à mettre en place le Comic Code Authority. 

Capture d’écran d’une des célèbres « fatality » du premier Mortal Kombat

La mise en place de l’ESRB n’a toutefois pas mis un terme aux critiques qui ressurgissent de façon récurrente à la sortie d’un jeu ou lors d’une tuerie de masse. Certaines études permettent d’appuyer ces polémiques lorsqu’elles sont reprises de façon assez superficielle par des hommes politiques ou personnalités publiques. Par exemple, en 2000, deux psychologues ont publié des résultats soutenant que les personnes jouant à des jeux vidéo violents étaient aussi des personnes présentants des tempéraments plus agressifs[6]. Mais cette étude était critiquable dans ses conclusions : elle n’établissait pas de causalité entre comportement agressif et jeu violent, uniquement une corrélation. Or d’autres études semblent suggérer une causalité inverse : les personnes déjà agressives vont avoir plus tendance à se tourner vers des jeux plus violents[7].

En 2015, l’American Psychological Association a émis une résolution déclarant que le jeu vidéo peut être associé à une augmentation de l’agressivité et une réduction des comportements sociaux et de l’engagement moral tout en soulignant que 90% des enfants américains jouent à des jeux violents et que le jeu vidéo n’était qu’un facteur de risque parmi d’autres, pas la cause de la violence[8]. Toutefois, la cour suprême a jugé en 2011 que les jeux vidéo étaient protégés par le 1er amendement concernant la liberté d’expression et qu’aucune démonstration scientifique n’avait été portée à leur attention pour démontrer un lien clair entre violence vidéoludique et comportements violents des joueurs, mettant fin pour l’instant au débat juridique aux États-Unis à ce sujet. 

Extrait de l’arrêt Brown v. Entertainment Merchants Association de la Cour suprême américaine concluant à l’inexistence d’un lien scientifique démontré entre violence et jeu vidéo

Plusieurs études, qui ont par la suite visé à démontrer un lien causal entre jeu vidéo et agressivité des joueurs, présentent des limites méthodologiques majeures[9] : pour tester la réaction agressive d’un joueur à court terme suite à une partie sur un jeu violent, on propose au joueur d’utiliser un son gênant sur son adversaire ou l’obliger à manger une sauce très pimentée (parce que pour des raisons éthiques évidentes, il est difficile de lui tendre une arme et l’inviter à tirer). Si on ne peut pas affirmer que de telles études ne prouvent rien, il reste une différence importante entre forcer un adversaire qui vient de vous battre à Call of Duty à manger de la sauce épicée et tuer par arme ses camarades de classe. Quelle est la définition d’un comportement agressif ou violent ? De plus, la corrélation entre pratique d’un jeu vidéo violent et le constat d’un comportement plus agressif, mesuré selon cette échelle, ne dépasse jamais un coefficient de corrélation de 0.3 dans toutes les études sur le sujet[10], soit une corrélation assez faible.

Enfin, une dernière limite réside vraisemblablement dans le biais de publication : une étude présentant des corrélations positives a statistiquement plus de chance d’être publiée et remarquée qu’une étude ne démontrant aucun lien. Une méta-analyse du sujet réalisée par Dr. Christopher J. Ferguson, professeur de psychologie à la Texas A&M international University concluait que, après ajustement du biais de publication, il n’était pas possible d’établir une corrélation significative entre jeux vidéo violent et comportement agressif[11]. Dr. Ferguson résumait ainsi le lien entre violence et gaming : « le lien causal entre les bananes et le suicide est tout aussi concluant »[12]

Le lien entre jeu vidéo et violence est a priori plus complexe

Face à des travaux limités par leur approche, il existe plusieurs façons de tenter de détecter un lien entre pratique des jeux vidéo et comportement violent. Si le jeu vidéo rend effectivement violent, alors on devrait constater une augmentation de la violence statistiquement corrélée au développement du marché des jeux vidéo, réalistes et distribués massivement à la jeunesse depuis le début des années 1990 suite à la sortie de Mortal Kombat, Doom et Wolfenstein 3D.

En observant les données pour les États-Unis, on constate au contraire une diminution importante des crimes violents pour 100 000 habitants dans le pays depuis le début des années 1990 et ce pour toutes les grandes catégories de criminalité : meurtre, viol, vol avec violence et agressions physiques. Toutes ces catégories ont connu des diminutions de 30 à 62% entre 1991 et 2016. On constate la même tendance pour la criminalité juvénile avec une réduction d’environ 80% depuis le début des années 1990[13]. S’il s’agit d’un premier indice, il est difficile d’en conclure simplement que les jeux n’entraînent pas plus de violence puisque d’autres facteurs qui affectent le niveau de criminalité violente ont pu évoluer en parallèle.  

De plus, cette approche reste réductrice : peut-être que le jeu vidéo ne provoque pas de réactions violentes chez une majorité de joueurs, mais provoque des comportements violents chez quelques personnes prédisposées, ce qui serait déjà problématique en soi. Les tueries de masse ont augmenté au cours des dernières décennies aux États-Unis donc il n’est pas impossible que, même si on ne constate pas une augmentation générale de la violence du fait des jeux vidéo, le jeu vidéo puisse être un facteur pour expliquer certains crimes majeures commis par certaines personnes promptes à la violence. Pour tester cette hypothèse, on peut regarder le rôle du gaming dans la vie des personnes commettant de tels crimes. 

Un rapport du FBI sur les tueries en milieu scolaire affirmait que le jeu vidéo n’était que l’un des supports d’expression d’une fascination des tueurs pour les images et thèmes en lien avec la mort, la violence, la haine et la destruction[14]. Ce constat nourrit la théorie selon laquelle les personnes violentes vont être attirées par la violence des jeux et non la violence des jeux qui provoque des comportements violents. Un rapport de 2004 des services secrets américains allait dans le même sens en concluant que sur les 37 cas de violence scolaire étudiés, 24% des tueurs exprimaient un intérêt dans les livres violents contre 12% dans les jeux vidéo et ce alors que 70% des hommes de moins de 30 ans y jouent dans le pays[15]. Il semble donc que ça soit la violence, pour laquelle ces tueurs nourrissent une fascination, qui les amène éventuellement au gaming et non les jeux qui les amènent à la violence. 

Toujours dans ce sens, sur 33 tueries de masses perpétrées dans les écoles américaines entre 1980 et 2018, c’est-à-dire après l’avènement du premier jeu vidéo accusé d’être trop violent (Death Racer en 1974), 4 seulement ont été l’œuvre de personnes jouant régulièrement. De plus, certains de ces tueurs-joueurs n’avaient pas d’attrait particulier pour les jeux violents : le jeu favori de Adam Lanza, l’auteur de la célèbre tuerie de Sandy hook en 2012, était Dance Dance revolution[1]

Borne d’arcade Dance Dance Revolution, un jeu ne présentant aucune forme de violence

Une piste pour établir un lien entre violence et gaming réside dans l’analyse de l’environnement familial. Un moindre contrôle sur les activités des enfants dans des environnements familiaux abusifs favoriserait le développement cognitif d’enfants prompts à des comportements violents[1]. Cette étude tend à démontrer une corrélation entre jeux violents et comportement agressif, mais uniquement dans les environnements familiaux délétères et abusifs. La théorie des auteurs est qu’un enfant exposé à la violence dans les jeux sans supervision parentale permettant d’intégrer qu’il s’agit d’un jeu et que la violence est une mauvaise chose en dehors du jeu peut entraîner une augmentation de la probabilité de comportement violent, même si cette corrélation reste relativement faible. L’étude n’a cependant été conduite que sur les jeux vidéo et n’a pas mesuré l’impact d’autres types de média qui véhiculent des images violentes. Elle a malgré tout le mérite de proposer une théorie qui concilierait les différents éléments cités ci-dessus en distinguant l’effet des jeux violents selon l’environnement du joueur, dont le profil est replacé au centre de l’analyse. 

Pourquoi en dépit du manque de lien démontré entre violence et gaming, le jeu vidéo reste un bouc émissaire ?

Quel que soit le degré de causalité qui puisse être éventuellement démontré, il reste en tout cas que les hommes politiques et personnalités publiques pointant du doigt le jeu vidéo le font sans preuve tangible et ce souvent pour éviter de poser certaines questions douloureuses. Trump a accusé les jeux vidéo suite au massacre de Parkland d’être responsable de la tuerie. Nikolas Cruz, le tueur, avait publié de nombreux messages haineux concernant les minorités pouvant facilement être assimilés au discours d’une partie de la droite américaine[18] et avait un passif de problèmes comportementaux et mentaux. Pour une partie de la classe politique, il est électoralement plus simple d’attaquer les jeux vidéo que d’interroger la responsabilité de la politique de suivi psychiatrique, de mise à disposition des armes, de harcèlement scolaire et le poids de certains discours. 

Un tweet du Président Trump accusant les médias d’être l’ennemi du peuple. En février 2020, le FBI a arrêté un néo-nazi qui planifiait de tuer plusieurs personnalités démocrates et journalistes.

Dans ce sens, une étude s’appuyant sur plus de 6000 articles relatant des cas de tueries de masse aux États-Unis a conclu que, lorsque le tueur est blanc, les jeux vidéo sont évoqués huit fois plus souvent que lorsqu’il est noir[19]. Pourquoi ? L’explication résiderait dans le fait que lorsqu’un noir a un comportement violent, il ne soit pas nécessaire d’expliquer ses actes, alors que lorsque la violence est commise par un blanc, il est nécessaire de trouver une explication autre pour dédouaner le comportement du tueur, comme si son comportement n’était pas tout autant imputable à qui il est et à l’environnement qui l’a produit.  

Les États-Unis ont un taux d’homicides par arme à feu plus de 20 fois supérieur à celui de la France, un pays très consommateur de jeux vidéo. La Corée et le Japon, où les crimes violents sont rares, sont pourtant dans les plus gros consommateurs de jeux vidéo au monde en dépense par habitant[20]. Les raisons de la violence américaine seraient donc à rechercher du côté de facteurs propres au pays plutôt que du gaming.

Le jeu vidéo peut aussi servir d’excuse au niveau individuel lors de procès de tueurs afin de se dédouaner ou pour des parents et des écoles cherchant à masquer le rôle de leur éducation ou de leur manque de vigilance. Les frères William et Joshua Buckner ont affirmé avoir été inspirés par GTA 3 pour justifier le meurtre d’un motocycliste, sans que l’argument soit retenu par le tribunal. En 1997, les parents de Michael Carneal ont poursuivi sans succès des éditeurs de jeux vidéo après que leur fils, souffrant de problèmes mentaux et de harcèlement scolaire, ait tué 3 camarades de classe[1]. Cette idée va dans le sens des travaux selon lesquels l’environnement familial prédit de façon plus pertinente la réaction d’un joueur fasse au jeu que le jeu en lui-même, ce qui amène l’environnement familial à chercher une cause autre pour ne pas affronter sa responsabilité.

Mais pourquoi accuser en particulier le jeu vidéo et pas un autre média ? Même si, lors de la tuerie de Columbine, la musique de Marilyn Manson a pu être présentée comme un autre bouc émissaire, c’est surtout le jeu vidéo qui se trouve dans l’œil du cyclone quand il faut expliquer rapidement et simplement de tels comportements. Le jeu vidéo est un média récent et c’est un comportement social naturel d’être suspicieux lorsqu’un élément qui semble inconnu intègre la vie d’un groupe social[22]. Cela repose sur le même réflexe cognitif que la xénophobie dans un sens : un élément perçu comme halogène intègre un groupe, puis un problème réel ou perçu comme tel émerge au sein du groupe et le réflexe est alors d’interroger l’importance de l’élément perçu comme halogène. 

De la même façon qu’on accusait les comics dans les années 1950 ou que Ségolène Royal dénonçait la violence de Dragon Ball Z en 1989[23], il semble donc évident d’accuser le jeu vidéo aujourd’hui. Personne n’accuse réellement le cinéma car le cinéma est un média établi avec lequel les parents des joueurs, comme les joueurs eux-mêmes, ont grandi. Pourtant le cinéma est un média violent pour les mêmes raisons que le jeu vidéo comme nous l’avons évoqué. Le sénateur Liebermann, à l’origine de la polémique de 1993 a découvert le jeu Mortal Kombat grâce à son assistant parlementaire qui l’avait acheté pour son fils. Les deux étaient choqués par cette violence et ont organisé une conférence de presse et un comité parlementaire qui ont lancé la polémique. On voit bien ici que l’approche est loin d’être macro ou scientifique, il s’agissait d’abord d’une réaction émotionnelle et générationnelle.

Couverture du livre Le Ras-le-bol des bébés zappeurs de Ségolène Royal

Enfin, ces différents effets se renforcent à travers le biais de confirmation[24]. Il est plus probable d’évoquer le jeu vidéo lorsqu’il permet de faire un lien entre un acte de violence que lorsque ce n’est pas le cas, oubliant par exemple des réalités statistiques comme le fait que la violence juvénile a drastiquement baissé alors que le jeu vidéo prenait son essor.

Conclusion

La violence fait partie intégrante de l’univers vidéoludique, à la fois pour ses vertus en termes de gameplay et d’intérêt scénaristique, mais c’est une réalité commune aux différents médias et arts qui s’appuient sur les passions et les penchants des hommes. Dans ce sens, GTA et sa caricature de l’Amérique par la violence est une expression contemporaine de la catharsis que les Grecs avaient déjà décelée en leur temps lorsqu’ils assistaient aux tragédies : l’art et les médias permettent à la fois de représenter les passions humaines, mais aussi de les interroger, les dompter et les purger. 

La naissance des polémiques autour du jeu vidéo semblent devoir bien plus à des biais humains liés à la génération, à la volonté de masquer d’autres problèmes ou responsabilités qu’à l’analyse scientifique. Les études réalisées jusqu’à aujourd’hui ne sont pas particulièrement concluantes et semblent pencher vers un effet fortement différencié en fonction de l’environnement du joueur, dans lequel il faut chercher les principales causes de la violence. 

Tout en gardant un esprit ouvert sur les travaux qui peuvent et doivent compléter cette analyse pour ne pas trancher aussi radicalement le débat, il n’est pas inutile d’évoquer aussi les effets bénéfiques du jeu vidéo sur les comportements sociaux : le jeu vidéo peut aussi permettre de développer des relations réelles et tout aussi enrichissantes pour les joueurs. La notion de « switching modality », c’est-à-dire une relation d’abord fondée sur le virtuel (un ami découvert sur un serveur d’un jeu online) qui s’exprime ensuite par d’autres canaux, permet de conclure que les relations développées par les joueurs apportent des gains en termes de bien-être et sociabilité tout aussi élevés que d’autres types de relations[1]. Il serait réducteur de résumer les effets d’un phénomène social de l’ampleur du jeu vidéo à l’un de ses aspects comme le monde politique et médiatique a trop souvent tendance à le faire.

Un joueur d’Animal Crossing rendant hommage à un youtubeur décédé en lui construisant un lieu de mémoire dans le jeu

[1] Draper, K. (2019). Video Games Aren’t Why Shootings Happen. Politicians Still Blame Them. The New York Times. URL : https://www.nytimes.com/2019/08/05/sports/trump-violent-video-games-studies.html

[2] Greitemeyer, T. (2013). Intense acts of violence during video game play make daily life aggression appear innocuous: A new mechanism why vio- lent video games increase aggression, Journal of Experimental Social Psychology.

[3] Controversy. GTA Wiki. URL : https://gta.fandom.com/wiki/Controversy

[4]Przybylski, A. K. et al. (2009). The Motivating Role of Violence in Video Games. Personality and Social Psychology Bulletin. URL : http://selfdeterminationtheory.org/SDT/documents/2009_PrzbylskiRyanRigby_PSPB.pdf

[5] Hsu, T. (2018). When Mortal Kombat Came Under Congressional Scrutiny. The New York Times. URL : https://www.nytimes.com/2018/03/08/business/video-games-violence.html

[6] Radford, T. (2000). Computer games linked to violence. The Guardian. URL : https://www.theguardian.com/uk/2000/apr/24/timradford

[7] Przybylski, A. K. et al. (2009). The Motivating Role of Violence in Video Games. Personality and Social Psychology Bulletin. URL : http://selfdeterminationtheory.org/SDT/documents/2009_PrzbylskiRyanRigby_PSPB.pdf

[8] Kenneally, M. (2018). Breaking down the debate over violent video games and school shootings. ABC News. URL : https://abcnews.go.com/US/breaking-debate-violent-video-games-school-shootings/story?id=55324231

[9] Game Theory: Do Video Games Cause Violence? It’s Complicated. The Game Theorists. (2019). URL : https://www.youtube.com/watch?v=xkVIqB8tw2A

[10] Ibid.

[11] Shao, R. et Wang, Y. (2019). The Relation of Violent Video Games to Adolescent Aggression: An Examination of Moderated Mediation Effect. Frontiers in Psychology. URL : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2019.00384/full

[12] Draper, K. (2019). Video Games Aren’t Why Shootings Happen. Politicians Still Blame Them. The New York Times. URL : https://www.nytimes.com/2019/08/05/sports/trump-violent-video-games-studies.html

[13] Game Theory: Do Video Games Cause Violence? It’s Complicated. The Game Theorists. (2019). URL : https://www.youtube.com/watch?v=xkVIqB8tw2A

[14] O’Toole, M. E. The School shooter: a threat assment perspective. Federal Bureau of Investigation. URL : https://www.fbi.gov/file-repository/stats-services-publications-school-shooter-school-shooter/view

[15] Przybylski, A. K. et al. (2009). The Motivating Role of Violence in Video Games. Personality and Social Psychology Bulletin. URL : http://selfdeterminationtheory.org/SDT/documents/2009_PrzbylskiRyanRigby_PSPB.pdf

[16] Campbell, C. (2018). A brief history of blaming video games for mass murder. Polygon. URL : https://www.polygon.com/2018/3/10/17101232/a-brief-history-of-video-game-violence-blame

[17] Shao, R. et Wang, Y. (2019). The Relation of Violent Video Games to Adolescent Aggression: An Examination of Moderated Mediation Effect. Frontiers in Psychology. URL : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2019.00384/full

[18] Campbell, C. (2018). A brief history of blaming video games for mass murder. Polygon. URL : https://www.polygon.com/2018/3/10/17101232/a-brief-history-of-video-game-violence-blame

[19] Draper, K. (2019). Video Games Aren’t Why Shootings Happen. Politicians Still Blame Them. The New York Times. URL : https://www.nytimes.com/2019/08/05/sports/trump-violent-video-games-studies.html

[20] Game Theory: Do Video Games Cause Violence? It’s Complicated. The Game Theorists. (2019). URL :https://www.youtube.com/watch?v=xkVIqB8tw2A

[21] Campbell, C. (2018). A brief history of blaming video games for mass murder. Polygon. URL : https://www.polygon.com/2018/3/10/17101232/a-brief-history-of-video-game-violence-blame

[22] Kowert, R. et Quandt, T. (2015). The Video Game Debate: Unravelling the Physical, Social, and Psychological Effects of Video Games. Routledge. URL : https://books.google.fr/books?id=Y-JzCgAAQBAJ&pg=PA189&hl=fr&source=gbs_selected_pages&cad=2#v=onepage&q&f=false

[23] (2019). Ségolène Royal regrette-t-elle ses lourdes attaques contre le Club Dorothée ?. Voici. URL : https://www.voici.fr/news-people/actu-people/segolene-royal-regrette-t-elle-ses-lourdes-attaques-contre-le-club-dorothee-657247

[24] Ferguson, C. et al. (2017). News Media, Public Education and Public Policy Committee. The Amplifier Magazine. URL : https://div46amplifier.com/2017/06/12/news-media-public-education-and-public-policy-committee/

[25] Kowert, R. et Quandt, T. (2015). The Video Game Debate: Unravelling the Physical, Social, and Psychological Effects of Video Games. Routledge. URL : https://books.google.fr/books?id=Y-JzCgAAQBAJ&pg=PA189&hl=fr&source=gbs_selected_pages&cad=2#v=onepage&q&f=false

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